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Pouvoir général d’audition des douaniers, contradictoire, autorité de la chose jugée, application dans le temps, abus de droit, intéressé à la fraude : précisions et rappels

Affaires - Pénal des affaires
Transport - Douane
16/11/2022
 Un arrêt du 9 novembre 2022 de la Cour de cassation apporte précisions et rappels utiles s'agissant du pouvoir général d’audition des douaniers, du contradictoire, de l'autorité de la chose jugée, de l'application dans le temps, de l'abus de droit et de la notion d'intéressé à la fraude.
Pouvoir général d’audition : pas avec les articles 65 et 334
 
L’article 65 du Code des douanes, qui prévoit le droit de communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant les agents, et l'article 334 du même code, « qui concernent uniquement la forme sous laquelle doivent être consignés les résultats des contrôles et enquêtes réalisés par ces agents », s’ils « ne leur interdisent pas de recueillir des déclarations spontanées relatives aux éléments communiqués, ne leur confèrent pas un pouvoir général d'audition », selon la Cour de cassation.
 
La nullité d’une audition dans le cadre de ces articles est donc retenue et une cour d’appel est censurée pour avoir écarté l'exception tirée de la nullité d’une audition réalisée dans ledit cadre en retenant (à tort donc) :
  • d’abord que l’article 334 prévoit « expressément la possibilité pour les agents des douanes de procéder à des interrogatoires et qu'il est constant que les agents des douanes peuvent procéder à l'occasion des opérations de contrôle à des auditions »,
  • ensuite qu'en l'espèce les personnes n'ont pas refusé d'être entendues par les enquêteurs et que dès le commencement du contrôle la société a eu connaissance de sa nature,
  • encore que les douaniers « peuvent parfaitement procéder à des interrogatoires en lien avec les enquêtes qu'ils diligentent à l'occasion de leurs missions de contrôle sans qu'il soit porté atteinte au respect des droits de la défense et que ces auditions, effectuées sans contrainte, ne sauraient être confondues avec le placement en garde à vue ou la retenue douanière »,
  • enfin que les personnes auditionnées n'ont pas demandé à être assistées par un avocat et qu'au moment des faits l'article 67 F relatif à l'audition libre en matière douanière instaurant des droits n'était pas en vigueur, le seul cadre d'une audition étant l'audition simple prévue par l’article 334 ou l'audition en cas de retenue douanière avec la notification des droits comme en garde à vue en cas d'exercice d'une contrainte.
 
Remarques
Ce n’est pas la première fois que la Haute cour affirme le principe ci-dessus s’agissant de l’article 65 (Cass. com., 8 oct. 2002, n° 01-01.630, Bull. civ. IV, no 139). Le conseil constitutionnel l’avait également rappelé pour cet article en 2012 (Cons. const. QPC, 27 janv. 2012, n° 2011-214).
 
Infractions douanières : le principe du contradictoire, oui, le DEE de l’article 67 A, non
 
Sur le droit d’être entendu (DEE) de l’article 67 A du Code des douanes dans sa version 2010-2016, la Cour de cassation opère un rappel. Cet article ne s’applique pas aux décisions conduisant à la notification d'infractions prévues par ce code : c’est en effet ce qui résulte de l'article 67 D du même code dans cette même version. L'article 67 A organise seulement (mais c’est déjà beaucoup) la mise en œuvre du DEE préalablement à toute décision prise en application de l’ex-Code des douanes communautaire (CDC) et de ses dispositions d'application, lorsqu'elle est défavorable ou lorsqu'elle notifie une dette douanière telle que définie à l'article 4, paragraphe 9, de l’ex-CDC. La Haute cour cite même en ce sens une de ses précédentes décisions de 2019 (Cass. crim., 6 nov. 2022, 2019, n° 18-82.724 ; voir DEE 2010-2016 : pas pour les décisions menant à la notification d’infraction au Code des douanes, Actualités du droit, 13 nov. 2019).
 
S’agissant en l’espèce d’un procès-verbal de notification d’une infraction douanière, la cour d’appel s’est donc fondée à tort sur l’article 67 A précité. Toutefois, l’arrêt d’appel n’encourt pas la censure s’agissant de la violation du respect du contradictoire invoquée par les opérateurs qui estiment que la Douane n'avait pas communiqué, préalablement à son établissement, les documents sur lesquels elle a fondé sa décision. Pour la Cour de cassation en effet, il résulte de la décision des juges du fond que – avant l’établissement dudit PV – les prévenus, qui pouvaient solliciter auprès de la Douane la remise des documents sur lesquels était fondée sa décision, dont la liste leur avait été communiquée, avaient été mis en mesure de faire connaître leur point de vue sur les importations litigieuses dans un délai suffisant et en connaissance de cause.
 
AMR invalidé par le juge civil : quel effet sur l’appréciation de la validité de la procédure douanière par le juge pénal ?
 
Est-ce qu’une partie ayant obtenu du juge civil l'annulation de la procédure au cours de laquelle des infractions douanières ont été constatées par la Douane peut invoquer l'autorité de la chose jugée de cette décision devant le juge pénal, saisi en vue de la répression de ces infractions ?
 
Pour répondre par la négative à cette question, la Cour de cassation distingue d’abord :
  • l'action portée devant le juge civil qui tend à contester la validité de l'avis de mise en recouvrement (AMR) émis par la Douane en application de l’article 345 du Code des douanes ;
  • et l'action portée devant le juge pénal qui tend à l'appréciation de la culpabilité de la personne poursuivie et à l'application, le cas échéant, des sanctions pénales et douanières prévues par le code précité.
 
Ensuite, la Haute cour ajoute que si ces instances peuvent concerner les mêmes parties, elles n'ont ni le même objet, ni la même cause. Et cette distinction explique, selon elle, que « la régularité de la procédure douanière puisse être appréciée différemment par les juridictions civiles et pénales », les premières devant s'assurer que la Douane a régulièrement établi un AMR (« qui constitue un titre exécutoire par la loi et autorise en conséquence le recouvrement forcé de la créance sur les biens du débiteur, avant toute intervention judiciaire »), alors que les secondes « vérifient la régularité de la notification d'infractions douanières, dont les fondements juridiques et factuels seront discutés contradictoirement au cours de la procédure pénale préalablement à l'application de toute sanction ».
 
Enfin, la Cour de cassation déduit de ce qui précède « que la décision du juge civil, saisi de la contestation de l'avis de mise en recouvrement de droits douaniers éludés, constatant une irrégularité de la procédure douanière, ne peut avoir au pénal l'autorité de la chose jugée et ne saurait s'imposer à la juridiction correctionnelle ».
 
Application dans le temps des textes douaniers répressifs
 
La Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l’article 112-1 du Code pénal et de l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 7 août 2018, n° C-115/17, Administration des douanes et droits indirects et a. c/ X et a.), que le principe de l'application immédiate de la loi pénale plus douce ne trouve pas à s'appliquer en cas d'abrogation des dispositions communautaires méconnues par les prévenus, lorsque les poursuites ont été engagées à raison d'un comportement qui reste incriminé et que les sanctions encourues n'ont pas été modifiées dans un sens moins sévère.
 
Remarques
Pour mémoire, à propos de l’ex-4° de l’article 426 du Code des douanes douane, la Cour de cassation avait déjà adopté la solution de l’arrêt de la CJUE précité qu’elle avait sollicitée d’ailleurs sur ce point dans cette affaire : Cass. crim., 16 janv. 2019, n° 15-82.333, Bull. crim., n° 19 ; voir Application dans le temps des textes douaniers répressifs : la Cour de cassation suit la CJUE, Actualités du droit, 23 janv. 2019).
 
Abus de droit
 
La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel qui a caractérisé en tous ses éléments l'existence d'un abus de droit (et s’est référée à la jurisprudence de la CJUE sur ce point), à savoir :
  • son élément objectif (la finalité du texte communautaire en cause ne peut pas être atteinte en raison des opérations litigieuses),
  • et son élément subjectif (si les opérations litigieuses n'ont pas été dénuées de tout avantage pour la société, elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel, l'importateur n'ayant assumé aucun risque commercial).
 
Intéressé à la fraude : pour un délit, oui, pour une contravention, non
 
Le § 1 de l’article 399 du Code des douanes disposant que « Ceux qui ont participé comme intéressés d'une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d'importation ou d'exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l'infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l’article 432 (...) », il en résulte selon la Cour de cassation que « l'intéressement à la fraude n'est punissable que si cette fraude à un caractère délictuel ». Aussi, la cour d’appel méconnait notamment ce texte et le principe ci-dessus rappelé qui en découle en retenant, pour déclarer l’opérateur coupable de l'infraction de fausse déclaration en valeur prévue, contravention prévue et réprimée par l’article 412 du même code, que sa responsabilité est engagée en qualité d'intéressé à la fraude.
 
Remarques
Ce principe et cette solution avaient déjà été énoncés en 1998 par la Haute cour (Cass. crim., 1er oct. 1998, n° 97-82.712, Bull. crim., n° 245).
 
 
 
Source : Actualités du droit